· 

Une rencontre autour de la prédation par le loup

Quel avenir pour les éleveurs drômois ?

Le jeune Leni cultive le doux rêve de devenir berger. Le deviendra t-il ? Rien n'est moins sûr
Le jeune Leni cultive le doux rêve de devenir berger. Le deviendra t-il ? Rien n'est moins sûr


De gauche à droite : l'eurodéputé Michel Dantin, la sénatrice des Hautes-Alpes Patricia Mohret-Richaud, le sénateur de la Drôme Gilbert Bouchet, le vice-président de la Chambre d'Agriculture drômoise Jean-Pierre Royannez, Annette Jouvent de l'Association des Éleveurs et Bergers du Vercors Drôme-Isère et l'attachée parlementaire du sénateur G. Bouchet, Laurence Achin-Charbonnel.

Faisant suite à la conférence interparlementaire du 15 mai 2018, Défendre le pastoralisme : vers un plan européen du loup, initiée par Michel Dantin, Gilbert Bouchet a souhaité réunir quelques collègues afin de restituer les travaux auprès des élus locaux, des institutions et des associations. Sans oublier bien sûr les éleveurs et bergers.

C’était une première, puisque jamais une réunion n’avait regroupé des parlementaires aux options politiques si différentes et venant de toutes les assemblées (Assemblée nationale, Sénat, Parlement européen). Comme l’a déclaré la sénatrice de la Drôme Marie-Pierre Monier, le loup constitue « un sujet majeur en Drôme. Nous nous réunissons au-delà des clivages car nous sommes tous unis derrière les éleveurs. »

La FDSEA de la Drôme, mais aussi la Fédération départementale ovine (FDO), étaient bien sûr représentées parmi les nombreux acteurs de l’élevage présents, ainsi que de nombreuses autres associations œuvrant pour le pastoralisme. Les services de l’Etat, à Peyrus, étaient incarnés par le sous-préfet de Die Patrick Bouzillard.

Alain Baudoin accueille les invités , dont le président Grégory Chardon (FDSEA)

Sitôt accueillis chaleureusement par le sénateur Bouchet et Jean-Pierre Royannez, vice-président de la Chambre d’Agriculture drômoise, la parole a été donnée à l’hôte de la rencontre Alain Baudoin, président de l'Association des éleveurs et bergers Vercors Drôme-Isère. Ce dernier s’en est pris aux « escroc-logistes » qui compromettent depuis une trentaine d’années l’équilibre de ceux qui veulent « nourrir de manière continue » leurs contemporains. « Laissez gérer l’environnement à ceux qui l’ont créé depuis 7 000 ans ! », s’est-il exclamé.

Alain Baudoin et Leni son fils spirituel à la bergerie,
aux côtés du vice-président de la Chambre d'Agriculture Jean-Pierre Royannez 

Alain Baudoin a fait le triste constat de la disparition des élevages, indiquant que, localement, « deux éleveurs se sont supprimés ». Ce sur quoi Jean-Pierre Royannez qualifie la problématique du loup de « vrai désastre ». « Pas une seule commune où le loup n’ait pas mis les pattes », déplore-t-il, le canis lupus n’étant pas le propre des alpages.

On dira que des mesures de protection peuvent être mises en place. Mais c’est oublier les difficultés parfois insurmontables pour les milieux ouverts. La bergerie d’Alain Baudoin doit faire face à la menace du loup 365 jours par an pour un parc de seulement quelques hectares.

La sénatrice de la Savoie Martine Berthet a échangé avec le préfet coordinateur du plan loup et témoigne que ce dernier « s’est rendu compte de la réalité des situations ». Les loups entrent dans les villages. En Espagne, des enfants ont été attaqués. " Il convient donc d’insister sur la sécurité " des populations, sujet fort pour nos préfets.

Les prises de parole se succèdent 

Les participants évoquent les résultats discordants des laboratoires étudiant la possibilité d’une hybridation chien/loup, la prolifération du gibier (sangliers) et les zones qui s’embroussaillent quand le pastoralisme disparaît. Didier Beynet témoigne avoir perdu 10% de son troupeau chaque année (soit 70 brebis) alors que « nous sommes 24 heures/24 avec les bêtes ». Le moral des éleveurs est au plus bas, qui aimeraient recouvrer une vie normale : « Nous aussi on a une famille ! » lance Didier Beynet.

Le loup ne recule devant rien et certainement pas devant le chien. Particulièrement rusé, le loup teste et jauge avant d’attaquer. Quand un chien meurt, c’est bien sûr un déchirement. Après les patous, Alain Baudoin a choisi les bergers d'Anatolie. Des compagnons prêts à donner leurs vies pour défendre le troupeau. Cela ne va pas sans susciter des tensions avec les randonneurs, les touristes qui ignorent tout du loup et des mesures de protection. Les maires se trouvent alors désemparés devant l'alternative : agriculture ou tourisme ?

La prédation par le loup ne touche pas seulement les brebis. Les bovins sont des victimes non reconnues et, donc, non protégées. Des bêtes sont tuées, disparaissent ou développent un stress qui se traduit par une augmentation des avortements de 20 à 30%. Ainsi les pratiques évoluent, mais pas dans le bon sens puisque, désormais, les bêtes sont parquées la nuit.

Cela ne diminue guère les attaques, puisque les loups opèrent aussi le jour. Didier Beynet indique qu’en Drôme, la moitié des attaques a lieu en journée. Enfin le président de la région syndicale du Diois fustige l’inégalité de traitement territorial. En effet, une gestion spécifique existe pour certains départements, dont la Lozère, pour des raisons purement financières, les brebis laitières étant trop cher à indemniser. Cela rompt avec le principe d’égalité.

Après un repas convivial, offert par le sénateur et la Chambre d'Agriculture, les convives se sont retrouvés à  la salle des fêtes de Peyrus où de nombreux éleveurs et élus les ont rejoints. 

Accueilli par le maire Georges Deloche, qui a vanté les mérites d'un séjour dans la Drôme en général et à Peyrus en particulier, le premier magistrat a affirmé le soutien de sa municipalité pour que perdure le pastoralisme.

A Bruxelles, rapporte alors Gilbert Bouchet, les parlementaires ont été surpris par le discours qualifié d'incohérent du Commissaire européen, tellement éloigné de la réalité vécue sur le terrain. A l’instar des nationaux qui s’en prennent à Bruxelles - " Bruxelles a bon dos ! " note le sénateur Bouchet - le Commissaire européen s’en prend aux nations, invitant les parlementaires à se tourner vers leurs gouvernements respectifs pour gérer au cas par cas, d’un pays européen à l’autre, la problématique de la prédation par le loup. C'est le sens de l'article 9 de la convention de Berne qui dispose que chaque nation articule à son territoire la gestion du loup.
Michel Dantin a fait état de la rencontre interparlementaire de Bruxelles organisée par ses soins, à laquelle des élus de tous bords participaient, dont José Bové au titre de co-organisateur. Pour Michel Dantin, la prédation par le loup est " un sujet quotidien ". Internationale, la réunion interparlementaire fait ressortir que " partout le loup est plus malin que l'homme ", en quoi il est capable de contourner toutes les mesures de protection.
L'eurodéputé Michel Dantin,
entouré du sénateur Gilbert Bouchet et du sous-préfet de Die Patrick Bouzillard
Michel Dantin a souligné que, certes la convention de Berne impose une protection des espèces dont le loup, mais chaque Etat membre est libre de choisir sa protection. C'est ce qu'on appelle un flou juridique dont l'eurodéputé veut sortir. Puisque la convention de Berne prévoit plusieurs catégories, " comment en changer pour redonner aux éleveurs la liberté qu'ils doivent avoir " ?

L'échange avec la salle a permis à Alain Matheron, président de la Communauté de communes du Diois, de dénoncer le recul qu'instaure le Plan loup. Il plaide pour l'élevage en plein air et demande que l'Etat laisse les éleveurs se défendre.
Frédéric Gontard
De son côté, Frédéric Gontard, vice-président de la FDO 26 a demandé à l'Administration de faire baisser les effectifs de loups car " nous ne sommes pas des shérifs ! ".

Beaucoup ont applaudi quand Patrice Marie (notre photo) interpelle le sous-préfet : " la France paysanne est en train de crever ". Les élus sont perçus comme hors-sol ; la Drôme finira-t-elle en territoire d'indiens ?
De son côté Patrick Bouzillard, représentant l'Etat, a souligné que, pour la première fois, le Plan loup était aussi un plan pour l'élevage. Il a salué le pastoralisme " à l'origine de la biodiversité " avant d'évoquer la possibilité d'une formation pour les tirs de défense, qu'il suffirait de demander pour qu'elle se mette en place.
Pascale Boyer,  députée des Hautes-Alpes, a insisté notamment sur les contraintes quotidiennes, à la fois diurnes et nocturnes, auxquelles les éleveurs se confrontent. Dans les Hautes-Alpes, témoigne-t-elle, les attaques du loup se déroulent au seuil même des bergeries. " Les enfants ne jouent plus dehors ", déplore-t-elle.
Pascale Boyer, députée des Hautes-Alpes, entourée du Conseiller régional AUvergne-Rhône-Alpes Claude Aurias et du Vice-président de la Chambre d'Agriculture de la Drôme Jean-Pierre Royannez
Marie-Pierre Monier a mis en lumière les problèmes que pose la présence du loup à l'agriculture comme au tourisme. " Ce sont deux vecteurs économiques importants qui doivent exister " quand Michel Grégoire, président de l'Association des maires de la Drôme, a affirmé que le pastoralisme est l'affaire des communes. Or les élus sont écartés, ce qui constitue à ses yeux "une mise en cause de la ruralité et de ses modèles". Il place l'agriculture plus haut que le tourisme et invite à privilégier les éleveurs aux loups.
Patricia Mohret-Richaud, sénatrice des Hautes-Alpes, Marie-Pierre Monier, sénatrice de la Drôme, Michel Grégoire, président de l'association des Maires de la Drôme et la députée de la Drôme des Collines Emmanuelle Anthoine.
Patricia Mohret-Richaud, sénatrice des Hautes-Alpes, a affirmé vouloir évaluer le comptage des loups et travailler sur la notion d'hybridation, rappelant que la convention de Berne instaure qu'il faut " détruire le loup hybride ".  Elle entend oeuvrer pour que la législation, dont le Code rural, évolue. Cela passe par des échanges avec le gouvernement afin qu'il aborde autrement le Plan loup.

Jean-Pierre Royannez a résumé les échanges de la journée. " Le Plan loup vise 500 loups ? On les a. Pour une fois, on a de l'avance..Avant la DDT étudiait avec la profession agricole les cas difficiles. C’en est fini ! On veut pouvoir continuer à gérer les cas difficiles sur le département ». Il a dénoncé la part prenante des administratifs - parfois partisans - avant de faire un tour de paysage européen. Ainsi en Italie, aucun contrôle n'est exercé. En Espagne, l'économie s'articule à la présence du loup devenu une véritable attraction. En Roumanie, pas question de dormir à la belle étoile : les Roumains savent que le loup rôde... Et de fustiger les traitements particuliers, appelant à plus de transparence dans la législation européenne, avant de conclure sur la destruction du travail de plusieurs générations d'éleveurs.

Enfin le conseiller régional Auvergne-Rhône-Alpes Claude Aurias a demandé des actes et la mise en place de moyens pour faire baisser la pression du loup - économique comme psychologique. Il annonce un plan régional, porté au plus haut niveau de la Région, " qui va apporter un soutien sans réserve au pastoralisme ".
 
La sénatrice des Hautes-Alpes Patricia Mohret-Richaud a témoigné de l'action des parlementaires devant la caméra du quotidien Le Dauphiné. Nous vous invitons à découvrir son propos, ainsi que ceux d'Alain Baudoin et Patrice Marie qui dénonce " une folie douce : armer une profession ".
 
Découvrir la vidéo du Dauphiné

Etaient également présents : André Gilles, vice-président du Département de la Drôme en charge de l'Agriculture, Séverine Bouit, mairesse de Combovin, Louis Aycardi, maire de Plaisians, Michel Metton, président de l'Union régionale de louveterie, Philippe Kahn, président de l'Adem (association d'économie montagnarde), Alain Haret, représentant du Suaci Montagn'Alpes, Rémi Gandi, président de la Fédération départementale des chasseurs de la Drôme, Frédéric Gontard, vice-président de la Fédération départementale ovine de la Drôme, Victor Persin, éleveur de bovins, Mallorie Randon et Jérôme Gilloud, techniciens de la Fédération départementale des chasseurs de la Drôme, Nathalie Groulard, animatrice de la Fédération départementale ovine de la Drôme et Angelo Tedesco, FDSEA de la Drôme. Dans la salle, de nombreux élus dont Aurélien Ferlay, président de l'Association des maires ruraux de la Drôme. 
Les députées de la Drôme (LREM) Mireille Clapot, Célia de Lavergne et Alice Thourot étaient excusées.

 

Texte / Photos : Angelo Tedesco